Les relations paradoxales entre conflit et participation : appel à proposition d’article

09.07.2014

Luigi Bobbio, Faculté de sciences politiques, Université de Turin

Patrice Melé, UMR CITERES, CNRS, Université de Tours

Une des spécificités de la Revue Participations est de promouvoir une approche élargie du champ de la participation qui n’exclue pas la question des mouvements sociaux (Neveu 2011), des conflits et des formes d’engagement non institutionnalisées. Cette question a été abordée dans certains textes mais jusqu’à aujourd’hui aucun numéro thématique de la revue n’a placé au centre de ses intérêts la question du conflit. L’objectif de cet appel est donc de proposer une réflexion sur les relations paradoxales entre conflit et participation.

Sur le plan théorique, le clivage principal oppose les défenseurs de la « démocratie délibérative » et ceux de la « démocratie agonistique ». Les premiers pensent que les conflits peuvent être affrontés et parfois dépassés, au moins provisoirement, par un processus de discussion argumentée entre les personnes affectées. Les seconds rejettent cette démarche qui risquerait de diluer l’antagonisme social au profit des intérêts les plus forts et les plus organisés.

L’observation de situations concrètes fait apparaître des relations complexes et souvent paradoxales entre conflits et processus de participation. D’un côté, la participation est censée déclencher ou bien élargir les conflits et elle est souvent crainte par les élus et les porteurs de projet qui redoutent de possibles effets négatifs liés à l’ouverture des processus de décision. De l’autre, la participation est considérée comme un instrument pour réduire ou même éliminer les conflits et donc pour soustraire le terrain aux mouvements radicaux. Le principal objectif de cet appel est donc de questionner ce paradoxe sur le plan théorique et surtout dans le cadre d’études ancrées sur des recherches empiriques.

La diffusion de procédures participatives dans les domaines de l’aménagement, de l’environnement, de la localisation d’infrastructures ou d’équipement est clairement liée aux difficultés rencontrées par les porteurs de projets, à la multiplication du contentieux et des conflits (Bobbio 2011, Melé, 2013). Or, les dispositifs, pourtant soumis à la critique récurrente de contribuer à l’évitement du conflit, de tenter de construire l’acceptabilité sociale, n’épuisent pas les conflits (Gourgues, Rui, et Topçu 2013). La généralisation des procédures d’information, de concertation ou de participation ne s’est traduite ni pas une dépolitisation ni d’ailleurs par un « équipement » des mobilisations allant dans le sens d’une plus grande émancipation (Rui 2013).

Tout se passe comme si les sociétés contemporaines étaient marquées à la fois par la généralisation de situations de conflits et par la multiplication de dispositifs d’information, de concertation ou de participation. Même si ces derniers restent souvent peu ambitieux, ils peuvent constituer des prises et des scènes sur lesquelles des opposants tentent de faire entendre leurs positions. Par ailleurs, le conflit, comme modalité d’interaction, n’est pas absent des échanges au sein des dispositifs participatifs et il est possible d’identifier des « usages agonistiques de la participation » (Blondiaux 2008). Dans certains cas, la mise en place de dispositifs pérennes a permis la constitution d’acteurs ensuite mobilisés dans le cadre de conflits (Romón et Santos y Ganges 2008 ; Lama-Rewal 2012).

Par ailleurs, de nombreux travaux rappellent qu’en dehors de toutes oppositions, les dispositifs de participation peinent souvent à trouver leur public. Souvent la peur du conflit paralyse les initiatives, conduit à la fermeture des dispositifs et donne ainsi prise à la critique des groupes mobilisés. Analysés dans leurs relations aux conflits, les dispositifs de participation peuvent faire l’objet de critiques contradictoires : celle d’intervenir trop tard (une fois la « décision » trop avancées) ou trop tôt (alors qu’il n’est encore possible d’envisager les impacts) ; celle d’être trop ouvert (plaçant sur le même plan chaque participant) ou trop fermé (organisant une délibération avec un faible nombre de personnes). La mise en place d’une délibération de qualité ou d’une négociation inclusive avec des représentants de groupes mobilisés n’exclut pas la possibilité de l’émergence de nouveaux opposants ne reconnaissant pas les accords négociés. De plus, émergent aujourd’hui des formes nouvelles de radicalités qui mettent en œuvre des stratégies de conflictualisation dénonçant tous les dispositifs comme des technologies de l’acceptabilité sociale.

Plus généralement, saisir des dispositifs participatifs à partir de la question du conflit oblige à (re)contextualiser la question de la participation à l’éloigner de critiques internes, comparant des dispositifs à l’idéal délibératif, pour saisir la façon dont certains moments de participation peuvent être insérés dans le temps long de la mise en débat local d’un projet ou du devenir d’un sous-espace spatial. A l’opposé réintégrer la question participative dans l’analyse des situations de conflit oblige à reconnaître la diversité des formes de débats locaux et la pluralité des espaces publics de débat (Girard, Le Goff, 2010 ; Silver, Scott, et Kazepov 2010).

Les propositions d’articles attendues partiront de recherches empiriques sur les relations entre conflits et participation dans plusieurs types de contexte : 1 / des situations de mise en débat de la localisation de projets, 2/ des situations de conflits liées aux risques ou nuisances d’activités existantes, 3/ l’analyse de la place du conflit au sein des dispositifs de participation, 4 / l’étude des effets des nouvelles formes de mobilisation radicale qui s’opposent à toutes formes de débat.

Les propositions d’articles (deux pages plus bibliographie) devront être transmises aux coordinateurs du numéro pour le 15 septembre 2014 (Luigi Bobbio : lubobbio@libero.it ; Patrice Melé, patrice.mele@univ-tours.fr). Les articles acceptés devront être rédigés (maximum 60 000 signes) selon les normes de la revue pour le 15 janvier 2015 pour pouvoir entrer dans le processus d’évaluation.

Bibliographie
BLONDIAUX L., 2008, « Démocratie délibérative vs. démocratie agonistique ?. Le statut du conflit dans les théories et les pratiques de participation contemporaines », Raisons Politiques, 2008, vol. 2, p. 131‑147.

BOBBIO, L. (2011), « Conflitti territoriali: sei interpretazioni ». Tema. Journal of Land Use, Mobility and Environment 4. .

GOURGUES G., RUI S., TOPÇU S., 2013, « Gouvernementalité et participation », Participations, 2013, vol. N° 6, n°2, p. 5‑33.

GIRARD C., LE GOFF A. (éd.), 2010, La démocratie délibérative: anthologie de textes fondamentaux, Paris, France, Hermann, impr. 2010, 550 p.

LAMA-REWAL S. T., 2012, Le conflit sur l’usage du sol à Delhi : un révélateur des enjeux du renouvellement de la participation en Inde, Participations, 2012, vol. N° 2, n°1, p. 147‑166.

MELÉ P. (dir.), 2013, Conflits de proximité et dynamiques urbaines, Rennes, France, Presses universitaires de Rennes, 435 p.

NEVEU C., 2011, « Démocratie participative et mouvements sociaux : entre domestication et ensauvagement ? », Participations, 2011, vol. 1, p. 188‑211.

ROMÓN C., A M., SANTOS Y GANGES L., 2008, « Urbanisme et militantisme de quartier dans les quartiers populaires de Valladolid », Espace et Sociétés, 2008, vol. n° 134, n°3, p. 53‑66.

SILVER H., SCOTT A., KAZEPOV Y., 2010, « Participation in Urban Contention and Deliberation », International Journal of Urban and Regional Research., vol. 34, n°3, p. 453‑477.

RUI S., 2013, « Où donc est le danger ? », Participations, 2013, vol. N° 6, n°2, p. 65‑86.

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